WANG WEI

WANG WEI
WANG WEI

Le génie de Wang Wei s’épanouit sous le règne de Xuanzong (712-756), qui, après un siècle de paix intérieure et avant la catastrophe de 755, marque l’apogée de la civilisation des Tang. Wang Wei est un représentant typique de cet âge d’or. Choyé par la noblesse, il est poète de cour. Lauréat des concours impériaux et haut fonctionnaire, il est poète lettré. Cependant, hors de la capitale, il aménage une résidence de campagne et se réserve des jours de loisir et de méditation. Il partage les goûts de son temps pour la musique, la calligraphie, la peinture et la poésie, et excelle dans chacun de ces arts. Il passe pour le créateur de la peinture monochrome à l’encre et pour le plus grand des poètes paysagistes. La postérité verra dans la sagesse de ses aspirations et la pureté de son art un modèle digne d’inspirer la classe des lettrés.

Vie publique et solitude

Les contradictions de l’Ancienne et de la Nouvelle Histoire des Tang laissent planer un doute sur les dates de la naissance (entre 699 et 701) et de la mort (entre 759 et 761) de Wang Wei. Il était issu d’une famille de fonctionnaires obscurs, originaire du Shanxi, mais la précocité de ses dons attira sur lui l’attention de la cour. Dès 721, il réussit le concours suprême du «doctorat» et obtint un poste d’administrateur de la musique impériale. Un premier accident mit fin à ce début de carrière prometteur: Wang Wei fut destitué pour quelque faute vénielle et muté en province. Ce n’est qu’en 734 qu’il fut rappelé à la capitale, grâce à la protection du Premier ministre Zhang Jiuling. Sous le gouvernement éclairé de ce lettré intègre, il semble avoir nourri certaines ambitions politiques, qui furent anéanties par la chute de son patron. C’est peut-être à cette époque que, déçu dans ses espoirs, Wang Wei se convertit au bouddhisme. Il poursuivit néanmoins sa carrière, toléré par le nouvel homme fort, Li Linfu, qui appartenait au clan impérial. La révolte de An Lushan, en 755, le surprit à la capitale. Emprisonné par les rebelles et peut-être contraint de les servir, il fut accusé de trahison après la restauration et ne dut son salut qu’à un poème d’inspiration loyaliste qu’il avait composé dans sa prison, ainsi qu’à l’entremise de son frère cadet, Wang Jin, qui s’était distingué pendant la guerre civile. Cette fois encore, il put reprendre du service, pour s’élever enfin jusqu’au poste assez considérable d’«assistant de droite» au département des Affaires d’État.

Malgré les épreuves, Wang Wei fit donc une carrière honorable. Il n’en paraît pas moins s’être désintéressé peu à peu de la vie publique pour ne plus songer qu’à la nature, aux arts, à la religion. Il écrivit lui-même: «Au soir de ma vie, je n’aspire qu’au repos. Les affaires du monde ne me concernent plus.» Il avait acquis près de Lantian, au sud-est de la capitale, la villa de Wangchuan, qui avait appartenu précédemment au poète Song Zhiwen. Ses peintures et ses poésies ont immortalisé ce site. C’est là qu’il s’absorbait dans la contemplation de la nature, qu’il cultivait les arts, en compagnie de quelques élus, comme Pei Di, qu’il mettait en pratique les enseignements du bouddhisme.

Sa mère avait été une bouddhiste fervente, et il obtint de l’empereur la permission d’ériger un temple en son honneur dans sa propriété de Wangchuan. Son œuvre poétique prouve qu’il avait lui-même une bonne connaissance de la doctrine, pour l’avoir étudiée notamment, pendant dix ans, auprès du maître de chan Daoguang. Ses convictions bouddhiques se manifestent diversement dans ses poèmes: il médite sur l’illusion des apparences et la vacuité universelle; il raconte ses visites aux monastères, dans les montagnes, assortissant ses récits de descriptions d’une nature qu’il sent en accord avec sa piété et d’allusions aux légendes bouddhiques; il prête serment d’obéissance à la Loi et aux règles ascétiques.

Le poète de la nature

L’œuvre littéraire compte environ quatre cents pièces, de vers et de prose, recueillies après la mort de l’écrivain par son frère, et pour la plupart non datées. On peut classer comme poèmes de jeunesse ceux qui abordent, d’un ton conventionnel, le thème de l’injustice sociale (divorce du mérite et de la réussite) ou, avec une verve héroïque, celui des campagnes victorieuses aux frontières. Mais c’est comme poète de la nature que Wang Wei a montré une maîtrise inégalée. Chantre de la vie paysanne, par exemple dans Les Fermes du val de la Wei (Weichuan tianjia ), il se montre l’héritier de Tao Qian, sans partager toutefois ni les labeurs ni les rancœurs de son devancier: Wang Wei ne fait que jouer au paysan. Ce sont «les monts et les eaux» de la nature sauvage qu’il affectionne surtout. Au milieu d’eux, il oublie les hommes, il s’oublie lui-même; poète et paysage se confondent; au gré de leur influence mutuelle, l’homme s’apaise tandis que la nature s’anime. Les paysages de Wang Wei ne sont pas des tableaux figés. Le poète aime au contraire les heures changeantes du crépuscule, le mouvement des nuées, des torrents et des feuillages. Loin de lui rappeler, comme à tant d’autres, le sentiment de sa propre fragilité, ces impressions fugitives le pénètrent d’aise et de quiétude. Par elles, il épouse le rythme de la vie universelle: ainsi dans le Recueil de Wangchuan (Wangchuan ji ) ou dans Nuit d’automne dans la montagne (Shanju qiuming ).

Wang Wei préfère le vers de cinq mots à celui de sept et le quatrain brisé (jueju ) à de plus longs schémas prosodiques. À ce goût de la concision correspond celui de la simplicité. Wang Wei répudie le style recherché du grand paysagiste Xie Lingyun, et la critique traditionnelle s’extasie sur la pureté classique de son art, dont la limpidité lui paraît révéler tant de profondeur.

«Qui goûte la poésie de Mojie [appellation de Wang Wei] trouve au sein de la poésie la peinture. Qui contemple la peinture de Mojie trouve au sein de la peinture la poésie.» Cette phrase de Su Shi témoigne des préoccupations de son auteur, qui a d’ailleurs défini dans des termes analogues le génie du poète Du Fu et du peintre Han Gan. Mais ce qui a valu à ce jugement sa célébrité, c’est qu’il faisait écho à une ambition constante des lettrés. Wang Wei est devenu pour la postérité celui qui avait réussi l’idéale combinaison de la peinture et de la poésie.

Toute peinture est poésie

Au VIIIe siècle, au moment où la peinture chinoise de personnages et d’animaux atteint son apogée, le paysage commence à prendre son essor. Wang Wei, qui fut apprécié par ses contemporains pour sa poésie et ses talents de musicien, dut attendre plusieurs siècles pour être reconnu comme un des plus grands peintres chinois; on lui décerna alors le titre de «Patriarche des paysagistes de l’école du Sud».

Peu appréciée de son vivant, l’œuvre de paysagiste de Wang Wei est classée par le critique Zhu Jingxuan parmi les peintures de quatrième catégorie (sur neuf). Wu Daozi, son contemporain, est classé premier, Li Sixun et Zhang Zao, deux autres peintres paysagistes, sont classés dans la troisième catégorie. Selon le même critique, ses paysages sont influencés par Wu Daozi mais conservent toutefois une certaine originalité.

Selon un autre critique du IXe siècle, Zhang Yanyuan, son style porte la marque à la fois des Anciens et des Modernes. Le même auteur ajoute que les peintures de Wang Wei qui figurent chez les collectionneurs de l’époque, et qui représentent généralement des scènes champêtres, sont faites en partie par ses serviteurs; la facture naïve des arbres de l’arrière-plan et la minutie excessive des détails en seraient la preuve. L’auteur apprécie particulièrement la touche vigoureuse du pinceau de l’artiste dans la peinture murale représentant la villa Wangchuan, au monastère Qingyuanshi. En outre, Zhang Yanyuan atteste avoir vu des paysages de Wang Wei peints en lavis direct, selon le procédé de l’encre brisée (pomo ). Cette technique, personnelle à l’artiste et qui devient par la suite caractéristique de la peinture des lettrés, contraste avec les coloris bleu, vert et or de la famille des Li (Li Sixun et Li Zhaodao) et avec le trait vigoureux très légèrement teinté de Wu Daozi. C’est par cette technique du lavis que Wang Wei parvient à rendre les nuances et la subtilité du paysage qui l’entoure. Le fameux poète des Song, Su Shi (ou Su Dongpo), disait avec justesse de son art: «Ses peintures sont des poèmes; ses poèmes, des peintures.»

Aujourd’hui, aucune œuvre de Wang Wei ne subsiste qui soit d’une authenticité certaine. Pourtant, des copies souvent tardives de certaines de ses peintures permettent d’avoir un aperçu de son style. La gravure sur pierre d’une copie par le peintre Song Guo Zhongshu d’après la peinture murale originale représentant la villa Wangchuan nous donne les éléments de la composition initiale.

Les copies les plus célèbres d’œuvres de Wang Wei sont les trois ou quatre versions de l’Éclaircie après la neige sur les monts près de la rivière (Jiangshan xueji tu , coll. Luo Zhenyu) et le portrait de Fusheng.

Par contre, Neige au bord de la rivière , appartenant autrefois à la maison impériale de Mandchourie, pourrait être un exemplaire authentique ou une copie des Song du Nord. Cette feuille d’album porte sur la marge de droite un titre de la main même de l’empereur Huizong. Sur la partie supérieure se trouvent trois colophons, l’un daté de 1621 par le peintre Dong Qichang, les deux autres par l’empereur Qianlong. Au premier plan, un pont conduit à une plate-forme rocailleuse; là, dans trois pavillons, des personnages méditent. Derrière les arbres nus s’étend, en contrebas, un lac sombre aux eaux immobiles; deux personnages rament dans un bateau; au loin, deux maisons, dont seuls les toits recouverts de neige sont visibles, se distinguent d’un banc d’îlots. Le charme de la composition naît en grande partie du contraste entre les larges taches d’encre foncée et la blancheur de la neige. Par des effets subtils de lavis règnent le silence et la quiétude particulière à la poésie de Wang Wei.

Wang Wei
(v. 699 - 759) peintre et poète chinois. Il fut probablement l'inventeur du paysage monochrome à l'encre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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